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Quels gestes devrions-nous poser pour intégrer davantages de technologies en pédagogie au Québec?

La question posée en titre a été relayée au groupe des crinqués dans le cadre d'une initiative associée au Ministre de l'éducation... En fait, il y a avait deux questions posées en lien avec une éventuelle stratégie numérique:

  1. Quels gestes devrions-nous poser pour intégrer davantage de technologies en pédagogie?
  2. Également, quel type de technologies devrions-nous prioriser?

La première question est très intéressante. La seconde, selon le sens qu'on voulait lui donner à l'origine, est soit très intéressante, soit tout à fait déprimante... Elle est très intéressante si on voulait discuter des grandes catégories d'outils, savoir lesquels seront importantes à court et moyen termes, comme par exemple l'intelligence artificielle, dans le but d'ajuster les programmes en conséquence. Elle est déprimante si on voulait identifier un outil précis et spécifique à imposer à tout le monde (ex. trop facile: MS Word). Je fais ici référence à un enjeu d'uniformisation qui revient trop souvent et qui n'a pas ses fondements en éducation, mais qui nous hante fréquemment! Nous y reviendrons peut-être...

Sur le forum des Crinqués, il y a eu plein de très bonnes réponses. J'ajouterai donc peu à ces très bonnes réponses... Sauf peut-être l'idée d'essayer de les appuyer sur des écrits scientifiques. Ce faisant, j'espère leur donner encore plus de crédibilité. En effet, on a trop souvent tendance à ré-inventer la roue et à vouloir se fonder sur des expériences locales ou anecdotiques. En matière d'intégration des TIC, les chercheurs et les pédagogues ont travaillé fort depuis plus de trente ans pour étudier la question. On peut espérer appuyer nos gestes sur des fondements solides et éprouvés. À ce titre, je me questionne quant au faible de nombre d'universitaires présents sur ce forum. Suis-je différent au point d'avoir été le seul invité? Je me demande quoi en penser!

Pour commencer à répondre aux questions, je vais me baser sur une communication présentées tout récemment en collaboration avec des collègues suisses et québécois. J'ai laissé des traces concrètes de cette conférence sur mon blogue. Le ton de cette communication était sarcastique... Pour ma part, cela traduisait mon agacement face à une situation qui perdure et qui compromet le futur de nos jeunes (je parle ici du peu d'intégration des TIC dans nos écoles et de la vitesse trop lente de changement pédagogique en général qui soutien la croissance grandissante d'une fracture numérique entre les jeunes et la société et l'État et ses infrastructures). Cela traduisait aussi une certaine fatigue vis-à-vis du système. Fatigue qui me pousse souvent à faire les choses sans demander la permission et sans respecter les procédures et les hiérarchies... C'est ma manière à moi de faire une différence. Je profite des opportunités et j'exploite les failles du système pour le hacker. Et je ne suis pas le seul à hacker l'éducation... Dans le groupe des Crinqués, je reconnais un important groupe de hacker, des virus qui travaillent en coulisse pour contaminer un élèves et un collègue à la fois... Tous nous espérons plus ou moins arriver au point critique, là ou le système basculera.

Le premier geste à poser selon moi est reconnaître et d'expliquer à tout le monde l'importance des technologies et de la littératie numérique. Nous sommes en plein coeur de ce que Michel Serres (qui est un historien, je le rappelle!) présente comme la plus grande révolution depuis l'invention de l'écriture et celle de l'imprimerie dans son essai intitulé Petite Poucette. Cette révolution est poussée par un développement technologique effréné (Voir à ce sujet «The singularity is near» de Kurzweil). La métaphore de Prensky à propos des natifs et des immigrants et celle à propos du «Peuple des connecteurs» de Crouzet n'étaient peut-être pas entièrement fondées sur le plan scientifique, mais leurs auteurs avaient tout de même reconnu quelque chose qui ne fait plus de doute, soit l'impact incroyable des technologies et à quel point elles changent tout! Danah Boyd décrit plusieurs aspects de la vie des ados qui sont influencés par les TIC dans son livre intitulé «It's complicated -- The social lives of networked teens» et, dans ce cas, c'est le plus souvent fondé sur des observations empiriques. En 2017, certains savoirs et certaines compétences deviennent plus que jamais essentiels. D'autres compétences, comme l'esprit critique, qui ont toujours été importantes deviennent encore plus importantes sous l'influence des TIC. À mes yeux, le développement de l'esprit critique était, en 2011 déjà, le plus grand défi techno-éducatif posé à l'école. (Je l'ai écrit dans une chronique de la revue de la FQDE publiée au printemps 2011 intitulée «Et si le principal enjeu techno-éducatif de 2011 n'avait rien de technologique?») C'est encore, et plus qu'en 2011, un défi de taille posé à l'école, mais maintenant c'est toute la société qui fait face à ce défi et aux conséquences socio-économico-environnemento-politique de notre manque d'esprit-critique collectif... Déjà, le monde de l'emploi change et, selon Frey et Orborne (2017), ça ne fait que commencé. Il faut reconnaûitre et faire connaître ces changements et engager l'École plus fortement sur la voix de l'adaptation et du changement.

Le développement fulgurant de l’informatique, du numérique, des robots ou encore de l’intelligence artificielle nous font prendre conscience que les compétences présentes dans nos curricula actuels seront certainement dépassées dans cinq, dix ou vingt ans. Face à ce monde qui se transforme et se numérise, les compétences technologiques seront de plus en plus importantes pour l’avenir de notre jeunesse… (Gremion, C., Cody, N., Coen, P.-F., Coulombe, S., Giroux, P. et Rebord, N. (2017). 12 commandements contre l’intégration des TIC. Introduction. Educateur, (4), pp.22-23.)

Le second geste qu'il faut absolument poser est de favoriser et de faciliter le travail de ceux qui veulent changer et innover. Il faut absolument que la culture politique et administrative change en profondeur pour favoriser ceux qui veulent innover. Attention cependant de ne surtout pas imposer le changement et le rendre obligatoire. Comme nous l'expliquons (Gremion, C., Cody, N., Coen, P.-F., Coulombe, S., Giroux, P. et Rebord, N. (2017). 12 commandements contre l’intégration des TIC. 1er commandement : Tu imposeras l’innovation à tout le monde en même temps. Educateur, (4), p. 26.), imposer le changement et le rendre obligatoire serait contre-productif. Ce changement passera obligatoirement par du soutien et de la formation et la recherche nous apprend qu'il est plus efficace d'individualiser les parcours de formations des adultes et des professionnels. On connaît assez bien les étapes par lesquelles passent les éducateurs qui apprennent à maîtriser les TIC (Voir, par exemple, Raby, 2005, ou Sandhotlz, Ringstaff et Dwyer, 1997) et on sait que tout ne progressent pas à la même vitesse dans le cheminement vers l'utilisation efficace des TIC, il faut donc éviter d'imposer des changements rapides, à grande échelle et identiques pour tous! Le changement de culture dont je parle ici touche en profondeur le ministère et les CS... Cela touche l'évaluation, la manière d'attribuer les fonds, le degré de liberté qu'on accorde aux enseignants, etc. Adopter une posture de praticien-réflexif devrait être encourager du côté des enseignants et les fondements pédagogiques doivent devenir les premiers critères de toutes les décisions en matière d'éducation malgré ce qu'en pensent les spécialistes de l'informatiques et les administrateurs. Surtout, il faut reconnaître que l'innovation ne peut pas s'appliquer partout de la même façon ni à la même vitesse...

En lien avec le deuxième geste, mais peut-être un peu plus concrètement, je pense que nous devrions diffuser et faire connaître les exemples qui fonctionnent, petits et gros... Il faut créer une culture de collaboration et d'échange entre les professionnels de l'éducation. Le gouvernement devrait mettre en place des canaux favorisant cette communication et soutenir les lieux d'échange et de communication. Il ne faut plus, non plus nuire à ceux qui veulent fréquenter des lieux d'échanges et de communication qui ne sont pas entièrement sous le contrôle du gouvernement. Je pense ici aux difficultés que les enseignants et les conseillers pédagogiques rencontrent lorsqu'il veulent participer à des événements hors-Québec comme Clair 20XX ou d'autres événements comme des edcamp, des barcamps, etc. Même si chaque contexte est différent, il existe des grands principes qui sont toujours vrais et des éléments transférables. Depover et Strebelle (1997) expliquent ainsi d'envisager l'intégration des TIC dans une perspectives systémique. Nous devons faciliter la communication de l'innovation (petite ou grande) et son adaptation. Simon (2004) explique qu'il faut fournir un idéal agissant comme exemple que l'on peut ensuite adapter à sa réalité.

Il faut ensuite éviter de trop sur-planifier les changements souhaités. Bien qu'il existe de grands-principes ou des règles de base, il ne faut pas négliger la spécificité des milieux et des contextes ni non plus nuire au sentiment d'autodétermination des individus. Laisser un peu de place à chaque professionnel pour qu'il puisse prendre des décision et adapter à sa réalité (contexte, compétence, caractéristiques du groupe d'apprenant, matériel disponible dans son milieu, etc.) le motive (voir Viau sur l'autodétermination et la motivation, 1994). Un certain degré d'autonomie professionnel doit être garantie aux enseignants et il faut mettre en place une culture réflexive qui exploite les non-réussites pour en tirer des savoirs fondés sur l'expérience plutôt que de tenter de les réprimer et de les punir. «FAIL = First attempt in learning» doit devenir une culture au Québec en éducation...

En lien avec la question #2, il importe d'éviter d'imposer un certain type d'appareil ou un certain logiciel ou de viser l'uniformité. Les recherches que je mène et d'autres que j'ai consulté indiquent assez clairement que l'adoption et l'appropriation des TIC est plus facile et rapide lorsque l'on est propriétaire de son outil et qu'on l'utilise au quotidien, dans ses loisirs comme au travail. Je crois qu'il s'agit ici de reconnaître qu'il n'y a pas qu'une manière de faire les choses et que l'on peut apprendre en dehors de l'école (Charlier, 2013; Roland et Talbot, 2015). Coen et Schumacher (2006) parlent d'un processus qui va de l'adoption à la routinisation. Il faut envisager mettre en place un mécanisme pour fournir à nos enseignants et aux apprenants des ordinateurs ou tablettes selon leur choix qui devraient rester ouverts et débarrer. On devrait aussi envisager très sérieusement des projets BYOD qui pourraient s'avérer moins coûteux. Pour rendre cela envisageable, il est impératif de rapidement augmenter la capacité des réseaux wifi de nos écoles, réseaux qui devraient être ouverts et non-restreints afin de garantir la liberté pédagogique des enseignants. Sans vouloir écorcher les services informatiques des CS, des universités et des écoles privés, tous les projets auxquels j'ai participé ont rencontré des problèmes de bande-passante à un moment ou à un autre.

Si on ouvre les réseaux, qu'on permet aux apprenants d'apporter leurs outils numériques ou qu'on leur fourni des outils numériques, il importe que les enseignants se responsabilisent par rapport à l'usage des réseaux et technologies, aux savoirs et aux compétences liés aux TIC et aux risques que les apprenants courent sur les réseaux. Le ministère pourrait grandement encourager cela en (re)mettant en place des documents officiels liés à la compétence transversale sur les TIC (savoirs essentiels, une description mise à jour fréquemment des compétences et habiletés associés à la compétences transversale sur les TIC, etc.) et en obligeant son évaluation par tous les enseignants. Les actions du gouvernement ont des impacts profonds sur la culture et les actions en éducation. On affirmerait ainsi l'importance de cet aspect du programme et influencerait la culture éducative...

Je crois finalement (c'est final pour tout de suite!) que le gouvernement devrait encourager la collaboration entre praticiens et chercheurs. Cette collaboration favorise la création de savoirs ancrés dans la réalité qui répondent à des problèmes concrets. Cela favorisent la pratique réflexive dont nous avons parlé plus haut du côté des praticiens. Le dégagement des enseignants pour des fins de recherche et de formation devrait, par exemple, être facilité.

C'est ce que j'avais en tête pour le moment... On en reparle!

pgiroux

Auteur: pgiroux

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Commentaires (2)

François Guité François Guité ·  02 juin 2017, 4:02:26 PM

Voilà un excellent billet, qui répond clairement et précisément aux questions sous l'angle de la science. Je te félicite également de répondre aux questions sur ton blogue.

Patrick Giroux Patrick Giroux ·  05 juin 2017, 8:38:52 AM

On pourrait être beaucoup plus long dans ces réponses... mais je ne suis pas certain que c'était le but de l'exercice considérant la composition du groupe des Crinqués. Je pense qu'on s,attend plus à un genre de tempêtes d'idées.

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